Une patiente toujours insatisfaite du choix de la teinte des dents de sa prothèse

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
La dent est une source de beauté émotionnelle. Elle intègre un contexte, et sa teinte doit être en harmonie avec le visage. Les dents artificielles en prothèse dentaire conditionnent la réussite finale du traitement, le plaisir, les émotions, le comportement social et la satisfaction du patient. Aussi, le choix de la teinte représente une décision thérapeutique du praticien sous couvert du consentement du patient. C’est pourquoi, ce choix ne peut être délégué et le chirurgien-dentiste reste responsable du résultat esthétique final de la prothèse dentaire qu’il réalise. Confrontée à un patient insatisfait, indécis ou très critique, la relation de soin soulève parfois des demandes exagérées qu’il faut traiter dans le respect de l’éthique.

Situation

J’ai réalisé une prothèse dentaire dans les règles de l’art. Pourtant, la patiente se dit mécontente du résultat esthétique, critiquant le choix de la teinte, qui ne lui convient pas. Cette teinte avait pourtant reçu son assentiment et j’ai demandé au prothésiste des modifications à quatre reprises pour tenter de satisfaire la patiente.

Je suis arrivé à un point où je ne vois plus de solution et je m’interroge : dois-je expliquer à la patiente que le résultat ne peut être amélioré et qu’elle doit s’en contenter ? Suis-je tenu de refaire la prothèse jusqu’à sa complète satisfaction ? Comment sortir de cette impasse en évitant le conflit ?
Réflexions du Professeur Jean Vilanova

Professeur à la Faculté de Droit de Lille. Juriste de la Médicale de France

En toutes circonstances, le professionnel de santé est tenu d’une obligation dite de moyens dans le cadre de la prestation qu’il réalise.
Cela signifie qu’un résultat non conforme aux attentes du patient n’implique pas de facto sa responsabilité. Il appartient au patient de prouver la faute commise par l’homme de l’art, sauf trois exceptions prévues dans la loi. En cas d’infection nosocomiale, de défaut d’un produit de santé ou de défaut d’information, la faute se présume.
Hors ces exceptions, la révélation de la faute ne peut se faire qu’en rapportant le manquement du chirurgien-dentiste aux préceptes de son art. En d’autres termes, de ne pas avoir mis en œuvre, dans le cadre de la relation qu’il noue avec son patient, tous les moyens humains, intellectuels et techniques à sa disposition afin de tenter de parvenir au but recherché.
 
C’est là une vision parmi d’autres (toutes se rejoignent, heureusement) de l’obligation de moyens dont tout praticien répond ; une obligation qui repose sur des principes d’ordre scientifique, juridique et éthique.
Il s’agit d’abord de prodiguer des soins conformes « aux données acquises de la science », en référence à l’arrêt fondateur de mai 1936*. Selon une formulation plus récente, la loi définit cette obligation comme le droit pour toute personne « de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire en regard des connaissances médicales avérées (…)** ». Voilà pour ce qui a trait à la science.
 
En complément, sachant que science sans conscience n’est que ruine de l’âme, selon l’intemporelle formule de Rabelais, lui-même médecin, le droit – encore lui – puis l’éthique parent cette obligation d’attributs tout aussi décisifs. Ainsi en est-il de l’information claire, loyale et appropriée due au patient afin de recueillir son consentement libre et éclairé sur les soins proposés, mais aussi du secret médical, mais encore du devoir d’écoute et d’empathie, tous aspects qui relèvent également de l’acte de soins.
On notera que l’obligation de moyens n’est pas linéaire, déclinable en tant que telle à toutes les situations. Elle peut se trouver majorée selon les circonstances. Laissée à l’appréciation du juge, on parle alors d’obligation de moyens renforcée. Moins l’acte est vital, plus elle se renforce sans jamais toutefois se transformer en obligation de résultat. La frontière reste ici infranchissable. 
 
L’obligation de moyens renforcée apparaît essentiellement en médecine et en chirurgie esthétique de confort.
Arrêtons-nous un instant sur ce qualificatif de confort. Il est particulièrement inapproprié selon nous. D’une part, les soins « confortables », cela n’existe pas. D’autre part, la demande du patient a toujours ou presque trait à un niveau plus ou moins élevé de mal-être, d’insatisfaction quant à l’image qu’il renvoie de lui-même. Il ne vit donc pas une situation de confort.
Quant à l’obligation de résultat, elle est absolument étrangère à l’acte de soins, c’est-à-dire à sa préparation intellectuelle, au consentement du patient qui doit en découler, au geste proprement dit, à la surveillance post-interventionnelle enfin.
 
Cette obligation n’apparaît que pour les matériaux et produits utilisés par le soignant. Elle n’a pas cours en ce qui concerne l’acte lui-même. L’obligation de résultat fait peser sur celui qui en répond une présomption objective de responsabilité et présuppose la passivité du créancier. Ici, le créancier est le patient lui-même, jamais passif en l’espèce. Son corps en effet réagit toujours en réponse au geste pratiqué, que ce geste relève du domaine curatif ou de celui de l’esthétique de confort.
 
Ceci pour en arriver au cas qui nous est soumis…
La patiente manifeste son insatisfaction quant à la teinte de la prothèse qui a été posée. La recherche de la responsabilité civile du chirurgien-dentiste implique tout d’abord de s’interroger sur la matérialité des éléments du triptyque suivant :
1. A-t-il commis une faute dans l’exercice de son art ?
2. La patiente subit-elle un préjudice ?
3. Existe-t-il un lien de causalité entre la faute et le préjudice ?

Seule la combinaison faute-préjudice-lien de causalité entraîne une responsabilité et la nécessité de réparer le préjudice par le biais de l’assurance souscrite par le chirurgien-dentiste.
Dans le cas présent, si faute il y a, elle relève d’un défaut d’information en amont du geste d’abord, puis à la suite de celui-ci. Nous l’écrivons plus haut, et il faut le répéter, moins l’acte est vital en effet, plus le niveau de l’information se rehausse.
 
Il appartient au praticien de rapporter par un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes que l’information sur, sinon le risque encouru, du moins les limites du résultat espéré, a bien été donnée à la patiente et que cette information a bien été comprise par cette dernière.
L’apport d’une telle preuve ne s’avère pas toujours aisé, car une part de subjectivité peut intervenir. Pour autant, les documents d’information signés par le patient sur sa compréhension du geste et sa part d’aléa, le temps passé avec le praticien en rendez-vous, le délai de réflexion qui lui est laissé avant l’intervention constituent autant d’éléments présomptifs susceptibles de convaincre le juge.
Pourtant, réalisé dans les règles de l’art et conduit au travers d’un minutieux devoir d’information, le résultat ne convainc pas la patiente. Le cas échéant, il appartient au praticien de remédier à cela dans la mesure où il estime raisonnable une perspective d’amélioration de la situation, ici encore après un dialogue avec la patiente, dialogue conclu par le consentement de celle-ci à une nouvelle intervention.
 
A contrario, si le praticien en vient à considérer le résultat comme étant ultime, reconduire le geste jusqu’à satisfaire la patiente mène à une impasse et, sans doute, à un surcroît de risque de voir mise en cause sa responsabilité civile. Le concept du « client roi » ne s’applique pas à la sphère de soins. Le patient n’est pas un client et l’acte des soins pas davantage un acte de commerce.
Il n’est alors qu’une seule voie possible, outre celle consistant à orienter le patient vers une consœur ou un confrère avec l’accord des deux parties : le dialogue. Expliquer et expliquer encore au patient les limites de l’art. Car l’art à lui seul n’a pas vocation et ne saurait répondre aux besoins plus ou moins profonds, plus ou moins conscients, d’un souci de représentation de la personne.
 
 

Réflexions Professeur Olivier Hue

Professeur des Universités émérite de la faculté de chirurgie dentaire de Marseille
Lorsqu’un patient exprime des remarques, des réserves, voire un refus sur le résultat « esthétique » d’un ou d’éléments antérieurs, les termes utilisés sont souvent « ce n’est pas beau, la couleur n’est pas bonne… ». Le praticien se doit de répondre, mais comment ?
Face à ce type de doléances, il lui incombe d’analyser, hélas a posteriori, ou de reprendre l’ensemble de la chaîne décisionnelle et technique qui a abouti à cet échec.
 
• Analyse des souhaits du patient : ses souhaits, ses espérances, voire ses exigences ont-ils été mis en exergue lors de l’examen clinique et avant toute présentation du plan de traitement ? L’évaluation soigneuse des caractéristiques colorimétriques des dents collatérales telles que la translucidité, les détails des bords libres, les détails des caractérisations des dents présentes sur l’arcade, est à ce titre primordiale.
 
• Analyse de la situation clinique : un élément essentiel de l’analyse porte sur la situation clinique, en particulier la teinte du substrat dentaire, l’existence ou la réalisation prévue d’une restauration corono-radiculaire, qu’elle soit foulée ou coulée. Les discolorations du substrat dentinaire devront être masquées pour éviter toute apparence sous-jacente. Cela impose le choix spécifique du matériau choisi pour l’armature, des épaisseurs adéquates, donc des préparations périphériques adaptées aux matériaux. De même, la présence d’une restauration corono-radiculaire modifie plus ou moins la transmission et la réflexion de la lumière : autant de facteurs dont il convient de tenir compte.
 
• Phases de laboratoire : la conception du dispositif médical est sous la responsabilité du praticien, en particulier au niveau de la teinte de la ou des restaurations envisagées. Si la couleur finale découle de trois paramètres essentiels que sont la teinte, la saturation et la luminosité, ils sont transmis au laboratoire par un teintier souvent unique ; il convient de prendre en compte l’opacité, la translucidité, la fluorescence, l’opalescence, l’état se surface, sans oublier, bien sûr, de transmettre au laboratoire la couleur de la structure dentaire à l’aide d’un teintier adapté. Sur la fiche de laboratoire, le praticien doit indiquer les différents choix techniques, en particulier au niveau de l’armature, qui permettront au laboratoire de répondre aux objectifs esthétiques et biomécaniques souhaités. La translucidité indéniable des céramiques feldspathiques s’associe à un faible module de flexion ; à l’opposé, les zircones sont très résistantes, mais leur translucidité amoindrie. La transmission de clichés numériques au laboratoire est de nos jours un élément essentiel pour permettre au laboratoire l’élaboration de la restauration. Mais la prise des clichés doit être conduite selon des techniques bien précises et codifiées.
 
• Phase de cabinet : l’essai du rendu esthétique a-t-il été conduit de manière rigoureuse ? Des pâtes d’essayage (Try-in), des glycérines colorées ont-elles été utilisées ? La mise en place définitive ne devra se faire qu’avec l’assentiment complet du patient, voire de son entourage.
 
 
En conclusion, les techniques, les matériaux, les protocoles actuels, permettent de répondre aux souhaits du patient dans la mesure où ils ont été bien analysés et si l’ensemble des chaînes clinique et technique a été parfaitement conduit. Ce type de doléance imposera le plus souvent de refaire la restauration, répondant ainsi à nos obligations de moyen.

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