Face à l’état dentaire désastreux d’un enfant

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 38-40)
Information dentaire
L’enfant n’est souvent pas réfractaire aux soins dentaires. Il subit le poids de son origine sociale, de la stabilité de sa cellule familiale et de la prise en compte de ses parents pour sa santé dentaire. Beaucoup doivent faire face à un manque d’attention, d’affection et subissent la négligence de la part de leur entourage. La maltraitance de l’enfant s’entend notamment de toutes les formes de mauvais traitements et le chirurgien-dentiste peut avoir à se positionner clairement sur la question de l’existence ou non d’un danger pour l’enfant au sein de sa famille.

Situation

« Je reçois le jeune Théo, âgé de 7 ans, accompagné de sa mère. Il souffre. Toutes ses dents sont cariées, certaines sont à extraire, l’une d’elles présente une importante infection. Sa maman s’adresse à lui devant moi : « C’est fini Théo, plus de bonbons ! On ne te fera plus confiance ! Tu vois ce qu’il dit le docteur, tu dois te brosser les dents tous les jours sinon tu resteras à avoir mal, je ne t’emmènerai plus chez le docteur ! » En l’absence de sa mère, je comprends qu’il n’a pas accès à la salle de bains et qu’aucune brosse à dents ni dentifrice ne lui est attribuée. Il souffre depuis de nombreux mois et ses parents lui disent n’avoir ni le temps ni l’argent pour le faire soigner. Quel doit être mon comportement face à l’état dentaire désastreux d’un enfant, révélateur d’une grande négligence ? S’agit-il de maltraitance que je dois dénoncer ? Dois-je réprimander cet enfant pour son manque d’hygiène bucco-dentaire ? Puis-je soigner Théo sans me soucier de sa situation au sein de son foyer ? Que puis-je dire aux parents ? »

Réflexions du Docteur Thomas Trentesaux

Maître de Conférences des Universités, Praticien Hospitalier – Odontologie pédiatrique, Faculté de chirurgie dentaire de Lille
Si la prévention bucco-dentaire porte aujourd’hui ses fruits, il n’est pas rare d’accueillir au sein de son cabinet des enfants porteurs de multiples lésions carieuses. Alors que les facteurs de risques sont connus et évitables, se pose logiquement la question de la responsabilité des parents, entre négligence et méconnaissance. Dès lors, l’observation de l’état bucco-dentaire des parents suffit souvent à se faire une idée de leurs représentations en matière de santé orale. L’enfant, pour sa part, n’est bien entendu pas responsable et demeure sous la dépendance totale du tiers détenant l’autorité.
Dans la situation décrite, l’enfant est victime d’une négligence sévère. Son état bucco-dentaire est très altéré et il ne dispose pas – a priori – des moyens nécessaires pour l’éviter. Il est également victime d’une violence psychologique, volontaire ou non (la maman semble chercher à limiter sa responsabilité devant le praticien) avec une forte culpabilisation.
 
L’ensemble de ces éléments appelle à une vigilance extrême face à un enfant qui se trouve en situation de danger. Le fait que la mère consulte constitue pour autant un élément positif.
Notre attitude vise donc dans un premier temps à apaiser les tensions et à tenter de déculpabiliser (sans déresponsabiliser) l’enfant et sa mère. Cette attitude est indispensable pour créer les conditions d’une rencontre et permettre l’établissement d’un climat de confiance. La modification des facteurs de risques peut ensuite être obtenue progressivement par le biais d’une éducation personnalisée. Le fait d’honorer les rendez-vous constituera une garantie d’une négligence parfois involontaire et la capacité de la famille à se mobiliser. Avec l’accord de la maman, le praticien peut également se mettre en relation avec le médecin traitant, afin d’assurer le meilleur suivi pour l’enfant.
Malheureusement, les craintes du praticien sont parfois justifiées. En cas de doute, il a donc la possibilité de déposer une information préoccupante auprès des cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations. Elles permettent une évaluation de la situation de l’enfant et la mise en œuvre d’un soutien psychosocial si nécessaire, en partenariat avec la famille, dans une véritable démarche d’accompagnement.
 
Dans les cas graves, une transmission aux autorités judiciaires est réalisée par ces cellules départementales. De la même manière, au cabinet, en cas de suspicion d’un danger grave et immédiat, une hospitalisation en pédiatrie doit être demandée, ou un signalement peut être effectué auprès du procureur de la République. Ces situations de négligence cachent parfois de véritables maltraitances constituant une obligation légale et déontologique de signalement d’un enfant en situation de danger. Même si cette situation peut paraître extrême, il ne faut pas oublier qu’en France, deux enfants par jour meurent pour cause de maltraitance.
 

Réflexions des Docteurs Martine Balençon1
et François Paysant2

1 Pédiatre, Praticien Hospitalier, Expert près la cour d’Appel
de Rennes
2 Maître de conférences à la faculté de médecine de Grenoble Praticien Hospitalier

 
Les situations de maltraitance chez l’enfant recouvrent les violences physiques, psychologiques et sexuelles, mais aussi les négligences graves. Contrairement aux trois premières situations, les dernières sont des situations commises par omission [1].
 
Les négligences correspondent à la difficulté plus ou moins grande, voire l’impossibilité de répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant (besoins physiques, émotionnels, de soins, de sécurité, d’éducation…). Ce sont des actes pour lesquels l’intentionnalité n’est retenue que dans les situations les plus graves avec des parents compétents.
Ces situations de négligences touchent une part importante de la population pédiatrique.
En 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait la prévalence des négligences physiques à 16,3 % et des négligences psychologiques à 18,4 %.
La définition des négligences dentaires a été adoptée par l’American Academy of Pediatric Dentistery en 1983 et consolidée par cette même instance en 2010 puis 2016 [2].
 
Quelle que soit leur gravité, elles doivent être prises en considération, car ces situations de négligence dentaire ont un impact important sur le développement de l’enfant (langage, scolarité, alimentation…). En outre, les situations de négligence dentaire peuvent être le seul mode clinique d’expression de situations de négligence plus graves et peu visibles. Celles-ci sont prédictives de l’état de santé de ces enfants à l’âge adulte.
Dans ce contexte, le praticien doit se centrer sur l’enfant et les soins qu’il est nécessaire de prodiguer. Le ressort de l’échange avec le ou les parents doit se faire de façon bienveillante autour de la notion de « santé globale ». Il ne doit pas être l’occasion d’émettre un jugement sur la qualité du lien parents-enfants ou l’éducation. Le praticien doit faire part de son inquiétude à son interlocuteur devant l’enfant. Nommer celle-ci de façon bienveillante n’a pas d’effet délétère sur le suivi.
 
Dans les situations plus graves et qui justifient un soutien de la part des services de protection de l’enfant, le praticien peut se délier du secret professionnel pour alerter les services compétents. L’article 226-14 du Code pénal l’y autorise. Dans ce contexte, il rédigera une information préoccupante à destination de la Cellule de Recueil d’Information Préoccupante (CRIP) conformément aux dispositions de la loi du 5 mars 2007. Sauf intérêt contraire de l’enfant, il en informera la famille. Le chirurgien-dentiste est un acteur et un partenaire important dans la prise en compte de l’enfance en danger. En effet, les situations de négligences dentaires sont huit fois plus rencontrées chez les enfants maltraités que dans la population générale [3].

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